
Journée dans un quartier populaire de Lima
Lima, mon quartier général depuis presque trois mois. Je m’adapte petit à petit à cette folle métropole où l’ennuie et la tranquillité n’ont jamais séjourné. J’habite un quartier relativement riche et aseptisé comparé au reste de la ville. Alors, quand j’ai découvert qu’Alternative Peru offrait un tour d’une journée au sein du quartier populaire de San Juan de Miraflores, j’ai sauté sur l’occasion.
J’ai sauté sur l’occasion car je ressentais le besoin de me rapprocher d’une réalité qui n’est heureusement pas la mienne, mais que, hélas, les médias et les politiciens en particulier, n’évoquent pas assez. Je suis en ce moment au Pérou surtout en tant qu’expat’ plutôt que comme voyageur. J’ai la chance de côtoyer des locaux, de discuter, de rire, de m’engueuler avec eux. A travers ma nouvelle routine, je ressens le pays, sa culture, ses idéologies, ses problèmes, ses charmes – chose impossible lorsqu’on est simplement de passage et qu’on saute d’une excursion à l’autre telle une puce d’un chat à un chien.
(Lire: «De l’importance de prendre son temps en voyage»)
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Loin de moi l’idée de penser que je sais déjà tout de ce Pérou que j’aime parfois un peu, parfois beaucoup, toujours passionnément, parfois à la folie, rarement pas du tout. Pour preuve, la Suisse, Die Schweiz, la Svizzera, pays au sein duquel j’ai passé 23 années soustraites de quelques mois de voyages et de pseudo-expatriations, ne m’a de loin pas encore dévoilée tous ses secrets.
Non, dans l’absolu, je ne sais pas grand chose du Pérou. Alors je tente, tant bien que mal, de faire croître la graine de mon ignorance pour un jour pouvoir récolter les fruits de cette expérience en écoutant, en lisant et en observant.
La réalité de ce pays, teintée d’injustices multiples et assaisonnée de scandales politiques, est parfois difficile à accepter. Et les médias, ne font rien pour arrondir les angles. Le sensationnel, dans son genre le plus futile, est systématiquement recherché. Qu’on ouvre un journal ou qu’on allume sa télévision, s’alternent querelles entre starlettes aux cerveaux aussi développés que celui d’un Magicarpe niveau 4, chamailleries politiques interminables, et violents cambriolages/agressions que les «journalistes» ne se contentent pas simplement de reporter… non, il faut que ça fasse peur au peuple.
Et les vrais problèmes, ceux sur lesquels toute l’attention devrait être concentrée sont masqués par cet épais brouillard médiatique créé par ceux qui détiennent le pouvoir et l’argent, ceux pour qui une image trop objective du Pérou ne serait pas assez profitable.
Merci donc à Alternative Peru de m’avoir permis de voir à travers cette vile mascarade avec cette excursion d’une journée à San Juan de Miraflores (et non à Manchay comme le suggère encore leur site internet).
Ma journée à San Juan de Miraflores
Situé au sud de Lima, le district de San Juan de Miraflores enregistre une population dépassant les 400 000 habitants. Lima, dans son entier, flirte actuellement avec les 10 millions.
Ce qui «choque» dans un premier temps, c’est la différence nette entre le district de Surco, à l’ouest de la Panamericana, et celui de San Juan de Miraflores, à l’est de ce réseau routier raccordant Ushuaïa à l’Alaska. Reliés par un pont, ces deux districts, ces deux univers, présentent un niveau de vétusté sensiblement différent l’un par rapport à l’autre. A Surco on ne compte plus les beaux condomínios de ministres, tandis qu’à San Juan de Miraflores, l’électricité vient tout juste d’arriver dans les foyers perchés au plus haut des monts de la capitale péruvienne.
A la décharge du gouvernement, ces monts n’étaient pas destinés à accueillir la populace, d’où l’insalubrité de certaines zones. Mais bon, lorsque ton pays est gangrené par le terrorisme (1980-1992) et que le pouvoir est hyper-centralisé, tes choix sont relativement restreints!
Ah bah si, finalement, c’est quand même un peu la faute des penseurs de cette nation!
Il y a donc eu deux grandes vagues migratoires en provenance des zones rurales du Pérou. La première est survenue à cause du terrorisme qui a émergé des Andes (région d’Ayacucho-Abancay) et qui massacrait les gens qui refusaient de se soumettre aux doctrines marxistes, léninistes et maoïstes. La seconde, pour des aspects économiques et éducationnels… Centralisation oblige, les emplois et les universités de Lima sont, encore aujourd’hui, sensiblement meilleurs que dans le reste du pays.
Visite du second cimetière le plus vaste du monde
L’excursion a débuté à Villa María del Triunfo, un district voisin de San Juan de Miraflores, avec la visite du deuxième cimetière le plus vaste du monde. Le cimetière de Nueva Esperanza («Nouvelle Espérance» en français), enregistre officiellement pas moins de 200 000 corps. Officiellement, dis-je, car les 60 hectares de Nueva Esperanza servent de refuge à plusieurs milliers de corps non recensés. Non recensés car ce n’est que dans les années 60 que les recensements ont débuté. Aussi, le coût de la démarche administrative officielle (environ 20 euros) étant hors d’atteinte pour certaines familles, des milliers de corps ont été inhumés de façon illégale.
On raconte que tout Péruvien connaît au moins une personne enterrée à Nueva Esperanza!
Les couleurs vives qui dominent largement le brun du sol garni d’une légère végétation m’ont immédiatement frappée. Contrairement aux cimetières sobres mais tristes et austères qu’on a l’habitude de voir en Europe ou en Amérique du Nord, le cimetière de Nueva Esperanza vire presque au kitch, et au final, le lieu dégage bien plus de positif que de négatif.
Des tombes à perte de vue, l’endroit est impressionnant et unique en son genre!
Madame Balvina
Nous nous sommes ensuite dirigés vers San Juan de Miraflores pour rencontrer madame Balvina, habitante de la zone depuis la fin des années 80. Malgré le fait qu’elle habite l’une des collines les plus hautes du district, madame Balvina, comme la majorité des personnes de cette zone, vit dans une maison relativement confortable et dispose d’un accès goudronné.
Arrivant à Lima depuis les zones rurales avec presque rien, la grande majorité des personnes sont contraintes dans un premier temps à construire des habitations des plus sommaires. C’est ensuite, au fil du temps, qu’elles parviennent à élever le niveau de confort de leur chez eux.
Mais revenons à madame Balvina. Arrivée à San Juan de Miraflores alors que le Pérou et ses citoyens étaient pris dans les mailles du groupe terroriste communiste du Sentier Lumineux, madame Balvina a dû littéralement repartir de zéro alors qu’elle était encore adolescente. Après quelques mois de petits travaux à gauche et à droite, elle tombe enceinte et se retrouve dans l’incapacité de travailler. Elle se met ensuite à chercher une manière de travailler à domicile pour pouvoir garder un œil sur sa fille, et, de fil en aiguilles elle bâtit, avec l’aide de sa communauté, Jupa, une petite entreprise d’artisanats traditionnels de la région d’Ayacucho.
Aujourd’hui, Jupa travaille en collaboration avec Bridge of Hope, une organisation péruvienne de commerce équitable qui se charge de commercialiser les produits de Jupa dans le monde entier.
Dans ce genre de quartiers où la pauvreté est omniprésente, il est inconcevable d’être femme au foyer ou de se payer une nounou. Mais grâce à Jupa et Bridge of Hope, une quinzaine de familles arrive à s’offrir ce véritable luxe. Luxe qui est en fait une source d’espoir pour leurs enfants car, hélas, la pauvreté peut très vite amener à des dérives criminelles. Des pièges dans lesquels il est plus difficile de se laisser attirer quand maman est systématiquement présente!
La rencontre avec madame Balvina a été enrichissante. C’est super cliché, je sais, mais c’est pourtant vrai. C’est inspirant d’avoir devant soi quelqu’un qui est littéralement parti de rien et qui maintenant subvient aux besoins ses quatre enfants grâce à sa passion. Aujourd’hui, elle est fière de son parcours, et recevoir des touristes du monde entier pour raconter son histoire l’enchante au plus haut point. Bien entendu, elle profite aussi de l’occasion pour vendre deux-trois de ses produits!
Les opportunités existent, il faut juste oser les saisir et travailler dur pour les faire mûrir.
«Soupe populaire» et ludothèque
C’est dans la zone de Nueva Rinconada, un peu plus haut, un peu plus loin du cœur de San Juan de Miraflores, que s’est poursuivie la visite.
Dans un premier temps, nous nous sommes rendus au comedor du quartier pour échanger quelques mots avec sa présidente. Un comedor est un endroit où les personnes dans le besoin peuvent s’alimenter au quotidien à un tarif réduit. Dans le cas du comedor San Juan Bautista, un repas ne coûte que 2 soles (0.60 euro), contre au moins 5 soles dans un restaurant du coin. La différence peut paraitre dérisoire pour certains, mais pour une grande partie des habitants de Nueva Rinconada, celle-ci est vitale.
Le fonctionnement d’un comedor est d’apparence simple. D’apparence. Celui de San Juan Bautista est géré par sept dames volontaires qui sont modestement rétribués de quatre repas par jour de travail. Mais selon sa présidente, la plus grande difficulté n’est pas de trouver dey bonnes âmes pour gérer les fourneaux. En effet, les habitants de ce type de quartiers évoluent dans une logique de communauté où la solidarité est au centre de leurs valeurs.
Non, la plus grande difficulté est de maintenir le prix du repas à 2 soles malgré les prix du gaz et du poulet qui ne cessent d’augmenter, et les subventions de l’état qui sont, depuis l’arrivée au pouvoir d’Ollanta Humala, inexistantes. Ce même Ollanta Humala qui, lors de sa campagne présidentielle, avait promis une baisse du gaz à 12 soles la bonbonne et dont les choix ont finalement propulsé son prix à 39 soles. Alors forcément, les portions de viande sont moins généreuses et doivent être compensés par d’autres aliments moins coûteux tels que haricots et lentilles.
Une autre chose qui m’a marqué c’est la confusion entre la présidente et Eveli, notre guide locale et coordinatrice de la ludothèque Jugando Aprendo («J’apprends en jouant» en français), au moment d’évoquer les grandes marmites dans lesquelles les volontaires du comedor cuisinent. La présidente était convaincue que celles-ci avaient été offertes par le gouvernement d’Alberto Fujimori (1990-2000). Avant qu’Eveli, bien plus jeune et sans doute pourvue d’une mémoire plus performante lui prouve par A+B qu’elles furent livrées au comedor sous la présidence d’Alejandro Toledo (2001-2006).
On ne peut alors s’empêcher de penser que Keiko Fujimori, fille d’Alberto et candidate aux prochaines élections, et dont le nom est peint à quelques mètres du comedor, est peut-être responsable de cette tentative d’altération du passé. Peut-être…
Après un riche, savoureux et très convivial repas composé de poulet, riz et haricots chez une dame dont j’ai oublié le nom, la dernière étape de cette excursion consistait en une visite de la ludothèque Jugando Aprendo. Nous avons rencontré plusieurs locaux qui participent directement au développement du lieu, dont un jeune de 16 ans qui, après avoir lui-même profité des services de la ludothèque, s’est vu offrir un poste d’animateur rémunéré.
L’un des objectifs principaux de la ludothèque est d’identifier quels enfants et adolescents se voient privés de leur jeunesse par leurs parents – souvent sans même s’en rendre compte – à travers du travail «forcé». Une fois les cas identifiés, la ludothèque tente d’établir un dialogue avec les parents et invite leurs enfants à participer aux activités de la ludothèque plusieurs fois par semaine dans le but de leur offrir une parenthèse ludique et éducative en sus de l’école.
Visite responsable?
Sortir des sentiers battus à coups de Lonely Planet n’est pas le seul attrait de cette excursion. En effet, une partie de l’argent des touristes est reversée à des ONG locales, telles que Bridge of Hope et Asociación Grupo de Trabajo Redes AGTR / La Casa de Panchita.
Néanmoins, je demeure sceptique vis-à-vis de la distribution des revenus… Chaque tour conduit les touristes vers la même madame Balvina et les repas sont systématiquement pris chez l’une des quatre familles avec lesquelles Alternative Peru travaille. Augmenter la palette de bénéficiaires directs – d’autres locaux profitent économiquement du tour de manière indirecte, il faut le mentionner – nécessiterait bien plus de travail de recherche, certes, mais je pense que parmi les 400 000 personnes de San Juan de Miraflores, ces cinq adresses ne sont pas les seules à pouvoir vendre leur marchandise aux touristes ou préparer un plat qui respecte les règles d’hygiène. Mais good news, Alternative Peru prévoit justement d’augmenter son nombre de partenaires dans les mois à venir! Yay!
Et puis, une autre question mérite d’être posée. Une question à laquelle je n’ai pas vraiment de réponse, d’ailleurs. Est-ce que nous, les touristes qui visitons ces quartiers populaires, pouvons être qualifiés de voyeurs? Les «riches» qui paient pour aller voir des «pauvres», tels des gosses, baignant dans l’ignorance de leurs créateurs, se palucheraient l’hypothalamus devant un groupe d’orangs-outans en cage?
Est-ce être voyeur que de s’intéresser au quotidien de gens d’une classe sociale sensiblement différente à la sienne? Ou est-ce simplement un témoignage sincère, en chair et en os, de notre compassion vis-à-vis de leur réalité, de cette réalité que trop préfèrent oublier?
Cher lectrice, cher lecteur, aide-moi à répondre à cette question!
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Note
L’excursion, qui coûte normalement 70 euros/75 dollars, m’a été offerte par Natalie, la fondatrice d’Alternative Peru, en échange d’un article. C’est moi qui l’ai contacté pour lui proposer ce deal qu’elle a volontiers accepté. Le contenu de cet article reflète mon avis personnel et n’a, à aucun moment, subi d’altérations de la part d’Alternative Peru.
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