
C’est dangereux Rio de Janeiro?
Je te vois, toi voyageur, derrière ton écran, excité et à la fois craintif à l’idée de te rendre dans cette ville aux fantasmes infinis. Rio de Janeiro est unique. On la visite, la célèbre, la remémore comme aucune autre ville au monde. Mais derrière les iconiques Pain de sucre et Christ Rédempteur, les favelas, autre symbole de la ville, font grimper le sentiment d’insécurité de nombre de ses futurs visiteurs. Alors, c’est dangereux Rio de Janeiro? Ça dépend…
Rio c’est une ville que j’adore. Une ville qui en à peine deux semaines a réussi à me faire ce que Londres m’a fait en plusieurs mois. Mais Rio – le Brésil, en fait – n’est loin d’être parfaite. Si les mesures économiques et sociales venaient à égaler la beauté du lieu, Rio serait un paradis. Un paradis imparfait car trop parfait. Comme la Suisse. C’est cette (grande) dose d’imperfections qui stimule le charme de la Cidade Maravilhosa. Un peu maladroit de dire ça vis-à-vis des gens qui vivent dans la misère des favelas, me diras-tu…Complètement. Mais tu n’arriveras pas à me convaincre que même le touriste le plus respectueux qui existe ne soit pas un minimum fasciné par les dédales des bidonvilles de Rio de Janeiro où trafics, homicides et balles perdues (bavures!) ont pignon sur rue. L’humain est de nature voyeur et ces éléments, aussi tristes et injustes soient-ils, entretiennent activement la nature unique de Rio. Après tout, c’est dans ces zones où les sentiers n’ont pas encore été battus que la culture carioca demeure à son paroxysme.
Un peu d’histoire…
Pour contextualiser briévement la question de l’insécurité à Rio, il me semble utile d’en savoir un peu plus sur la ville et l’apparition des favelas.
Tout d’abord il faut savoir que de 1763 à 1960, Rio de Janeiro a été la capitale du Brésil. Elle a dans un premier temps chipé ce statut à Salvador de Bahia du fait de sa proximité avec les mines d’or des Minas Gerais, avant de le redistribuer à Brasilia pour mettre fin à la rivalité entre Rio, alors capitale culturelle, et São Paulo, capitale économique.
En 1808, la Royauté portugaise et une bonne partie de la noblesse lisboète s’exile à Rio de Janeiro après l’invasion du Portugal par Napoléon. Le pouvoir est alors déplacé en terres cariocas et Rio de Janeiro devient la capitale de l’empire portugais. Pour permettre au Brésil de ne plus dépendre du Portugal, de nombreuses institutions politiques, économiques et administratives voient le jour à Rio. Le centre-ville est dès lors réquisitionné et de nombreux locaux sont expulsés de leurs maisons. Le centre pour les très riches, les collines pour les moins riches, les pauvres et les esclaves africains; les prémices de la lutte des classes à Rio de Janeiro.
Plus d’une décennie après, en 1822, le Brésil devient indépendant du Portugal et passe par une période faste où presque tout lui sourit – vers 1860 le Brésil croît a une vitesse similaire à l’Europe et aux Etats-Unis. Dès lors, de nombreux européens migrent vers le Brésil. Cette immigration de masse, nécessaire au développement industriel du Brésil, crée un boom démographique à Rio et dans les villes voisines, ce qui a pour effet de repousser les plus démunis encore plus haut sur les collines.
Quant à l’esclavage, il n’est officiellement aboli qu’en 1888. Et officieusement, la ségrégation perdurera. C’est encore le cas aujourd’hui. Certes à bien plus faible mesure, mais ça «on» n’aime pas trop en parler. Un racisme masqué, subtil, cordial qui est bien palpable au niveau de l’éducation où des quotas raciaux sont en place dans les universités brésiliennes depuis 2012.
Bien étrange pour un pays dont l’identité, ses influences, sont les fruits d’une diversité ethnique qu’on ne retrouve nulle part ailleurs.
L’origine des favelas
C’est la guerre de Canudos (1893-1897) entre un groupe révolutionnaire de Bahia et l’armée brésilienne qui marque le début «officiel» des favelas. Néanmoins, et on l’a vu précédemment avec le débarquement à Rio de la Royauté portugaise, puis plus tard avec le boom démographique, les bidonvilles, d’abord appelés bairros africanos pour «quartiers africains», existaient déjà depuis plus d’un siècle. Il faut savoir qu’en comparaison avec les Etats-Unis, environ dix fois plus d’esclaves ont été acheminés au Brésil.
Au terme de cette fameuse guerre, une partie des soldats (20 000) partis au front quatre ans auparavant reviennent à Rio de Janeiro. Seulement voilà, ceux-ci, ne recevant plus de solde, ne peuvent rien s’offrir d’autre qu’un tas de débris pour construire leur nouveaux chez-eux. Ils s’installent alors sur le Morro da Providência, une colline déjà habitée par 2000 autres démunis. La colline est ensuite rebaptisée Morro da Favela en l’honneur de ses nouveaux habitants. En effet, les soldats, sur le chemin de retour à Rio, s’étaient réfugiés sur une autre colline qu’ils avaient ainsi nommé. Mais pourquoi ce nom? Très simple, Morro veut dire «colline», tandis que Favela fait référence à une plante urticante qui pousse en grande quantité dans la région de Canudos (Bahia).
De 1930 à 1985, le pays subit deux dictatures et, hélas, sans trop de surprise, le quotidien des plus pauvres sombre encore un peu plus dans la décadence. En 1940 la crise du logement que traverse Rio oblige un nombre important de personnes à se déplacer en périphérie de la ville, augmentant ainsi le nombre de favelas. C’est d’ailleurs à cette période-là que le terme de favela est converti en un terme générique pour désigner toute zone défavorisée d’une ville brésilienne. Mais c’est en 1970, en pleine dictature militaire, que le nombre de favelas à Rio de Janeiro explose. En effet, le Brésil connait alors son Milagre econômico (Miracle économique), période durant laquelle la croissance atteint les 14% couplée à une inflation de 34,5%. Ce boom économique sans précédent entraine un exode massif de travailleurs des états ruraux les plus pauvres du pays vers les villes, à la poursuite du Brazilian dream. A leur arrivée à Rio, ces gens, très pauvres, forment des comunidades (communautés) sur les multiples collines inhabitées de la ville.
L’état actuel des favelas de Rio en chiffres
Maintenant que t’en sais un peu plus sur l’apparition de ces zones qui nourrissent toutes tes craintes et tes fantasmes de voyageur, je te propose une petite liste de chiffres qui vont peut-être te faire mouiller ta culotte. Mais avant cela, je t’invite à consulter cette belle carte des favelas que j’ai trouvé sur internet.
- Rio de Janeiro compte 6,3 millions d’habitants.
- Environ une personne sur sept vit dans l’une des 660 favelas que compte la ville.
- Entre 1950 et aujourd’hui cette proportion a plus que triplé, passant de 7% à 22%.
- La plus peuplée des favelas, Rocinha, accueille 70 000 personnes.
- Depuis 2008, 39 unités de pacification (UPP) ont investi un peu plus d’un quart des favelas de Rio afin de chasser les narcotrafiquants. Ces mouvements ont fait de nombreuses victimes collatérales.
- Malgré des conditions sanitaires parfois très précaires, une étude réalisée en 2011 auprès des jeunes démontre que 70% d’entre-eux ne souhaitent pas quitter leur communauté.
- 8,8% des habitants des favelas de Rio de Janeiro ne sont jamais allés à l’école.
- Selon un recensement daté de 2010, les favelas de Rio sont composées de 68,4% de personnes dites «noires» et «métisses» (pretos e pardos).
- Le salaire minimum au Brésil est de 788 BRL par mois, soit 245 CHF/240 EUR.
Les habitants des favelas vivent dans la précarité. Des familles entières son privées d’électricité, d’eau potable, et même d’installations sanitaires. La police, humaine, respectueuse lorsqu’il s’agit de touristes, est souvent bien plus impitoyable lorsqu’elle doit intervenir dans les favelas où, du fait des conditions et de la peur partagée par les deux camps (oui, c’est une véritable guerre!), l’escalade de la violence est presque instantanée. Une situation qui n’a qu’un responsable: le gouvernement brésilien. En plus de temper de la tête aux pieds dans la corruption, celui-ci fait les mauvais choix en matière d’investissements… Des stades flambants neufs dont l’abandon est pré-programmé (à Manaus, par exemple), un budget démesuré alloué au financement des unités d’intervention d’élite dans les favelas… Un vrai plan social ne coûterait pas plus cher, il me semble. Au lieu de ça, Dilma et ses copains placent les Reais du peuple dans l’éphémère et la répression. Augmenter le SMIC de 20 balles par rapport à l’année passée n’est pas suffisant, Dilma. Le crime doit vraisemblablement profiter aux plus aisés car les solutions existent dans ce pays plein de ressources qu’est le Brésil.

C’est dangereux Rio de Janeiro, oui ou merde?
Tu es bien courageux d’être arrivé jusque-là. Si un jour on se croise, je te paierai une caipirinha pour la peine. Autant dire que j’espère ne jamais te connaître, radin comme je suis(se). Allez, il est (enfin!) temps de répondre à la question posée par cet article.
Oui, Rio peut être dangereuse. Comme peuvent l’être Zurich et Singapour. La question posée par cet article n’est donc pas des plus pertinente. Pourtant, celle-ci, que ce soit sur internet ou dans l’esprit des gens, est très souvent associée à la douce et belle cité carioca. Déjà, qu’est-ce que le danger? Voilà ce que dit le Larousse :
danger, nom masculin
Ce qui constitue une menace, un risque pour quelqu’un, quelque chose; situation où l’on se sent menacé.
Me suis-je senti menacé à Rio de Janeiro? Non! Pas une seule seconde. Une sacrée claque pour les habitués des chaînes d’information nourris aux images de blindés de la BOPE qui ballaient les ruelles des favelas. Mais je comprends tes craintes. Avant de partir, moi aussi je me demandais ce qui allait m’attendre à Rio. Mais après à peine une journée, j’ai pu constater que tous les témoignages relatants vols, braquages et autres trouvés sur internet étaient largement surfaits. En fait, aujourd’hui, ceux-ci me paraissent tout bonnement être des cas isolés!
Attention, je ne remets surtout pas en cause les expériences très désagréables, choquantes et même fatales qu’ont vécues certaines personnes. Oui, elles existent, et bien qu’isolées, elles sont, hélas, souvent très violentes.
Néanmoins, la très grande majorité des locaux ne semblait pas plus gênée que ça à l’idée de sortir dans la rue avec des valeurs chiffrées à plusieurs SMIC brésiliens. Du coup, je me suis moi aussi pavané avec mon reflex et mon iPhone. Bien sûr, je recommande de garder tout cela dans un sac à dos relativement neutre pour limiter au maximum les risques. Si tu fais le gros touriste allemand alors là, oui, je pense que les risques de te faire braquer en pleine rue augmentent grandement. En effet, il est bien de garder en tête qu’un reflex d’entrée de gamme vaut facilement six mois de salaire pour certaines personnes.
Le «problème» avec Rio c’est que, contrairement à la majorité des villes sud-américaines, on peut rapidement se retrouver à l’entrée d’une favela après avoir traversé une zone aisée. Ça m’est arrivé deux fois. Une fois à Santa Teresa avec le complexe de favelas Coroa/Fallet/Fogueteiro et une seconde fois au centre, aux abords du fameux Morro da Providência. C’est pourquoi je recommande de bien étudier la géographie de la ville avant de la visiter. Chose que j’avais faite, mais bon… On m’a regardé bizarrement la première fois, enfin surtout mon ami suédois qui passait tout sauf inaperçu. Avec moi j’avais mon iPhone et un petit appareil photo compact que je n’ai pas caché tant la vue méritait la prise de risque. Y’a le Maracanã au fond! La qualité est affreuse, oui.

La seconde fois, un jeune de notre âge (la vingtaine) qui vivait précisément au Morro da Providência nous a tout de suite repéré pour nous demander ce que nous faisions ici. Très aimable, bien que très difficile à comprendre – je parle portugais mais l’accent carioca massacre la langue – ils nous a demandé où nous souhaitions aller. On lui a dit qu’on cherchait le bus pour Botafogo (totalement faux, nous nous sommes «perdus» volontairement). Il s’est proposé de nous accompagner à l’arrêt adéquat. Une sorte de «dégage» en toute courtoisie. Très brésilien. Clairement, on avait rien à faire là. Pour son «service» (je savais exactement comment rentrer) je lui ai laché 10 BRL, l’équivalent de 3 EUR, histoire d’éviter toute tension. Et puis, il était sympa.
Je suis aussi allé visiter Rocinha avec un guide. Très intéressant, même si je sentais bien qu’on empruntait le passage réservé aux touristes. La finalité était qu’on dépense notre argent chez un peintre, un boulanger et devant un spectacle de samba. Mais je recommande l’excursion, malgré tout. Histoire de stimuler ton côté voyeur.

Je sais que d’une certaine manière je suis passé entre les gouttes. En effet, un Israélien que j’ai rencontré plus tard dans mon voyage a été victime d’un vol à main armée en pleine journée dans le quartier de Botafogo, à quelques rues de mon auberge de jeunesse et proche d’un centre commercial très fréquenté. Deux jeunes hommes sur une moto, dont un armé d’un petit pistolet, et voilà que ce voyageur se voyait destitué de son lecteur MP3. Forcément, la pauvreté entraine une augmentation des risques de vols. Pas besoin d’un Master pour assimiler ça. Et puis, un appareil électronique un peu trop voyant, ça ne pardonne pas si on se retrouve au mauvais endroit au mauvais moment. Majoritairement habité par la classe moyenne, Botafogo est pourtant considérée comme une zone calme de Rio.
Mais je ne qualifierais pas Rio de Janeiro de ville dangereuse. Aucun endroit ne mérite cet adjectif. Dans une certaine mesure, le danger, et je mets de côté la violence gratuite qui diffère grandement de la violence par nécessité, c’est le voyageur lui-même qui le crée par des comportements inappropriés compte tenu de la situation sociale et économique du lieu qu’il visite. Attention, je ne dis pas que celui-ci est directement responsable, coupable. Je dis juste qu’à force de jouer avec le feu on se brûle.
Je ne sais pas si j’ai joué avec le feu, mais partout où je me promenais dans Rio; Copacabana, Ipanema, le Pain de Sucre, le Corcovado, Lapa, le Centre… j’avais argent, iPhone et reflex sur moi. Et pourtant, aucuns regards intéressés, aucun signe d’agressivité. Je portais un an et demi de salaire minimum brésilien sur moi, mais j’étais souvent vêtu d’un vieux short et d’un t-shirt des plus banales, complété d’un sac à dos noir à 10 balles. Pas de lunettes, pas de montre, pas de consultation de carte. Je me comportais comme un local. Pour en revenir à la carte, je pense sérieusement que tu as meilleur temps de risquer de te perdre et de te retrouver à l’entrée d’une favela que de la consulter à chaque coin de rue. Et puis c’est vachement plus agréable de déambuler en toute liberté vers l’inconnu. Je recommanderais tout de même d’éviter la Zona Norte, c’est à dire tout ce qu’il y a au delà de la Rodoviária (terminal de bus) en direction de l’aéroport international, où les risques sont nettement plus élevés. Ceci dit, les attaques gratuites, à l’arme blanche, sont en recrudescence un peu partout dans la ville. Celles-ci sont la plupart du temps commises par des mineurs, au-dessus des lois du fait de leur jeunesse. Ce statut «préférentiel» ne devrait pas perdurer, heureusement.
Encore une fois, il faut relativiser. Le soir, j’allais faire la fête à Lapa, là où certains locaux n’osent même pas s’aventurer. Les meilleures soirées de ma vie alors que crack et prostitution peuplaient largement les rues adjacentes. Je rentrais en taxi à 6h du matin, tranquillement, anesthésié à l’éthanol. J’étais heureux. C’est magnifique Rio by night!
Au bout de quelques jours je n’hésitais même plus à dire que je venais de Suisse. Les gens étaient d’ailleurs plutôt ravis de voir autre chose qu’un Anglo-Saxon ou un Argentin en cette période de Coupe du Monde. Le jour de la finale, j’ai même fait Botafogo-Copacabana à pied avec un drapeau suisse sur les épaules. Un appel au vol dis-tu? J’avais mon iPhone dans la poche en plus. Sur le chemin, un Brésilien, assis à une terrasse de café, intrigué par mon drapeau, m’a même interpellé pour me proposer le rail de coke de l’amitié. Il avait l’air réellement enchanté de voir un Suisse passer dans son quartier! Quelques heures plus tard sur la plage un père de famille m’a même pris en photo avec son fils… Tu vois, suffit de ne pas faire le gros touriste allemand. Bon, apparemment le Suisse bénéficie de passe-droits.
C’est dangereux Rio de Janeiro? Très! Pour ta santé mentale. Tous les jours j’y repense, tous les jours j’en rêve, éveillé. Rio me manque, énormément.
> Et toi? Tu t’es senti en danger à Rio? Ton avis m’intéresse beaucoup.
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